La première année d’application de la CSRD est arrivée à sa fin, marquée par la publication des premiers rapports de durabilité. Cette phase inaugurale a offert aux entreprises concernées une précieuse opportunité d’expérimentation, révélant de nombreux enseignements pour les années à venir.
Le cabinet Frank Bold a analysé en détail 100 rapports de durabilité CSRD, mettant en lumière les forces et les faiblesses de ces premières démarches. Dans cet article, nous vous proposons une synthèse des principaux axes d’amélioration identifiés, accompagnée des bonnes pratiques à adopter pour publier un rapport en toute conformité, et pouvant également servir de pilier à votre transformation durable.
CSRD : MÉTHODOLOGIE ET ÉTAPES POUR UNE MISE EN ŒUVRE RÉUSSIE
Découvrez les étapes concrètes pour mettre en œuvre la CSRD et une explication claire sur la manière de déployer les ESRS dans votre organisation.
1. Double matérialité
Etre spécifique dans la description impacts, risques et opportunités
Pour être en conformité avec la CSRD et répondre aux attentes des lecteurs, les entreprises doivent être plus précises dans la description des IRO, et notamment les effets des risques sur le modèle d’affaires. Cette analyse doit permettre aux lecteurs et à l’entreprise de comprendre précisément l’impact de chaque IRO sur son business model et où il se situe dans la chaîne de valeur. À noter que les entreprises habituées à publier un rapport TCFD ont souvent été meilleures sur cet aspect.
Décrire le processus d’analyse de double matérialité
Les auditeurs s’attendront à voir comment vous vous évaluez vos IRO et avez construit vos notes. Or, l’analyse de Frank Bold dévoilent que seulement 21 entreprises sur 100 ont décrit ce processus pour la matérialité financière dans leur rapport CSRD. Cette description est essentielle pour démontrer comment l’entreprise a identifié, évalué et priorisé les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) en tenant compte des deux dimensions de la matérialité.
Voici le contenu qui est attendu :
- Méthodologie utilisée : Quels outils, cadres ou approches ont été adoptés.
- Parties prenantes consultées : Qui a été impliqué (clients, employés, ONG, investisseurs, etc.).
- Résultats principaux : Les enjeux matériels identifiés et leur hiérarchisation.
- Lien avec la stratégie : Comment ces résultats influencent la stratégie et les priorités de l’entreprise.
Intégrer le processus de Due Diligence dans l’analyse d’impact
La CSRD met en avant l’importance de la consultation des parties prenantes lors de l’évaluation de la double matérialité, notamment à travers la notion de « due diligence ». Ce principe implique de mener des enquêtes auprès de tiers pour confirmer ou recueillir des informations pertinentes sur des enjeux qui les concernent directement et qui peuvent avoir un impact significatif sur eux.
Nos recommandations pour intégrer la due diligence dans votre analyse d’impact :
- Expliquer la méthodologie : Décrivez les étapes suivies pour identifier les parties prenantes à consulter et les raisons de votre choix (par exemple, leur rôle dans la chaîne de valeur, leur exposition aux risques, ou leur influence sur les impacts de l’entreprise).
- Justifier vos priorités : Précisez pourquoi certains sujets ou certaines parties prenantes ont été prioritaires dans votre analyse, tout en mentionnant les limites éventuelles de votre démarche.
- Documenter les interactions : Mentionnez les outils utilisés (questionnaires, entretiens, consultations publiques) et le type d’informations obtenues.
- Relier les résultats à votre stratégie : Expliquez comment les retours des parties prenantes influencent vos décisions stratégiques et votre gestion des risques.
- Assurer la traçabilité : Incluez des annexes ou des références pour permettre à vos auditeurs de comprendre la robustesse de votre processus. Sur la plateforme logicielle KP vous pouvez accéder à une piste d’audit (“audit trail”) permettant de garder automatiquement la trace de toutes ces informations, et de donner un accès spécifique à votre auditeur.
2. ESRS E1 Climat
Plan de transition et objectifs de réduction
Les données climatiques jouent un rôle central dans la conformité à la CSRD. Outre le rapport sur les émissions réalisées (scopes 1, 2 et 3), les informations sur les leviers de décarbonation sont particulièrement attendues. Cependant, c’est souvent sur ce second aspect que les entreprises manquent de précision.
Pour répondre aux exigences de la directive ainsi qu’aux attentes des auditeurs et des parties prenantes, il est crucial pour les entreprises de fournir des informations claires et détaillées sur leur stratégie de réduction des émissions.
Les axes d’amélioration identifiés :
- Publication d’un plan de transition clair : Bien que la majorité des entreprises aient fixé des objectifs de réduction, moins de la moitié ont communiqué un plan de transition précis. Un plan détaillé est essentiel pour démontrer une approche crédible et alignée avec les exigences de l’ESRS E1.
- Inclusion des émissions verrouillées : Une meilleure identification et divulgation des émissions « verrouillées » (locked-in emissions) est indispensable pour renforcer la qualité des informations et répondre aux attentes des auditeurs.
- Objectifs précis et échelonnés : Il est recommandé de définir des objectifs de réduction spécifiques pour chaque scope, accompagnés d’un calendrier clair. Cette pratique, adoptée par 60 des 100 déclarants analysés, constitue une bonne base à suivre.
- Amélioration de la qualité des divulgations : La précision et la transparence des données publiées doivent être renforcées pour se conformer pleinement à l’ESRS E1. Cela inclut la description des actions concrètes pour atteindre les objectifs et des indicateurs permettant de suivre les progrès.
Pour aller plus loin dans l’élaboration de votre plan de transition, nous recommandons l’excellent guide de l’AMF, qui propose des conseils pratiques et des exemples concrets pour structurer cette démarche.
Bon à savoir : les émissions verrouillées ou émissions bloquées correspondent aux émissions GES induites par les actifs ou produits de l’entreprise au cours de leur durée de vie opérationnelle
Prise en compte des émissions du scope 3
De nombreuses entreprises continuent de rencontrer des difficultés dans la gestion et la déclaration des émissions de scope 3, souvent les plus complexes à mesurer. Voici quelques recommandations pour mieux répondre aux exigences de la CSRD et des ESRS :
a. Assurer une couverture complète des émissions significatives
Toutes les émissions significatives liées au scope 3 doivent être incluses de manière aussi exhaustive que possible. En cas de lacunes dans les données, il est crucial :
- D’expliquer pourquoi certaines émissions ne sont pas incluses.
- De préciser les mesures prévues pour collecter les données manquantes à l’avenir.
Cette transparence renforce la crédibilité et démontre une démarche proactive.
b. Préciser votre méthodologie
La diversité des sources d’émissions et des méthodes d’estimation du scope 3 peut prêter à confusion. Pour éviter toute incompréhension, décrivez clairement :
- Les méthodologies utilisées (ex. : calculs basés sur des données réelles ou sur des estimations).
- Les bases de facteurs d’émissions employées (ex. : ADEME, DEFRA).
- Les hypothèses retenues et les limites de vos analyses.
Une méthodologie claire et détaillée rassure les parties prenantes et facilite l’audit des données.
c. Prioriser et structurer votre approche
Le scope 3 couvre de nombreuses catégories (fournisseurs, transport, usage des produits, etc.). Identifiez et priorisez les catégories ayant le plus grand impact pour votre activité. Cela permet de concentrer les efforts sur les leviers les plus significatifs pour réduire les émissions.
3. ESRS E4 biodiversité dans le rapport CSRD
La biodiversité demeure un enjeu complexe à traiter pour de nombreuses entreprises, ce qui se reflète dans la qualité et la profondeur des rapports publiés. Voici quelques axes pour progresser et répondre aux attentes réglementaires et des parties prenantes :
Reconnaître la matérialité des enjeux liés à la biodiversité
Les impacts sur la biodiversité doivent être considérés comme matériels dès qu’ils contribuent à dépasser les seuils écologiques et sanitaires globaux. Cette reconnaissance est essentielle pour guider une approche stratégique et cohérente.
Détailler les sites matériels et sensibles
Pour améliorer la transparence :
- Fournissez une liste des sites matériels, accompagnée de leur localisation.
- Identifiez les sites situés dans ou à proximité d’écosystèmes sensibles ou protégés.
Cette démarche permet de mettre en évidence les zones à risque et de prioriser les actions nécessaires.
Décrire les impacts négatifs sur la biodiversité
Une communication précise doit inclure :
- Les impacts négatifs directs liés à vos propres opérations (ex. : exploitation des terres, pollution).
- Les impacts indirects tout au long de la chaîne de valeur, comme ceux liés à vos fournisseurs ou à l’utilisation de vos produits.
4. Diligence raisonnable
La CSRD impose aux entreprises de détailler dans leurs rapports les démarches de diligence raisonnable, notamment en ce qui concerne l’identification des risques ESG et les mesures mises en place pour y répondre. Ces exigences complètent les dispositions de textes comme la directive sur le devoir de vigilance des entreprises. Voici ce que nous pouvons retenir des bonnes pratiques à intégrer dans votre démarche CSRD.
S’aligner sur les cadres internationaux reconnus
Pour structurer efficacement leur démarche, certaines entreprises se sont appuyées sur des référentiels établis. Par exemple :
- Les UN Guiding Principles on Business and Human Rights, adoptés par 22 des entreprises analysées.
- Les OECD Guidelines for Multinational Enterprises, suivies par 16 d’entre elles.
Ces cadres fournissent une base solide pour identifier, prévenir et atténuer les risques ESG dans la chaîne de valeur.
Prendre en compte les parties prenantes
Une meilleure intégration des points de vue et intérêts des parties prenantes est essentielle pour respecter les exigences de la CSRD. Pourtant, de nombreux rapports montrent encore des lacunes à ce niveau. Pour progresser :
- Impliquez activement les parties prenantes dans vos démarches d’évaluation des risques.
- Documentez et communiquez les contributions des parties prenantes à vos analyses de risques.
Détailler les processus de remédiation
La CSRD requiert des entreprises qu’elles expliquent les mécanismes pour remédier aux impacts négatifs identifiés. Pour répondre parfaitement à ces attentes :
- Incluez des mécanismes de grief transparents, permettant aux parties prenantes de signaler des violations ou des impacts négatifs.
- Décrivez les actions concrètes prises pour corriger les impacts, y compris les délais et les résultats obtenus.
Mettre en lumière les bonnes pratiques
Les entreprises peuvent se différencier en allant au-delà des simples exigences réglementaires :
- Élaborez un tableau des risques ESG prioritaires avec les mesures d’atténuation associées.
- Assurez un suivi régulier de vos démarches, en partageant des indicateurs de performance liés à la diligence raisonnable.
Conclusion
Pour répondre pleinement aux exigences de la CSRD, les entreprises doivent adopter des pratiques plus rigoureuses et transparentes, en précisant leurs méthodologies, en impliquant les parties prenantes et en assurant la traçabilité de leurs processus. Ces efforts ne se contenteront pas de renforcer leur conformité réglementaire, mais poseront également les bases d’une transformation durable alignée sur les attentes des investisseurs, des régulateurs et de la société.
En tirant parti des enseignements de cette première année, les entreprises peuvent non seulement améliorer la qualité de leurs rapports futurs, mais aussi intégrer la durabilité au cœur de leur stratégie, devenant ainsi des acteurs clés de la transition vers une économie plus responsable.